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Numérique: nous sommes face à une métamorphose de l’économie

Le numérique redéfinit l’économie. Dans cette ébullition, les économistes sont absents. Un concept d’origine économique joue pourtant un rôle essentiel dans les débats: c’est celui d’ »externalité ».

«Jusqu’où les limites d’un nouveau monde numérique?». Tel est le titre étrange d’un débat d’économistes auquel j’ai récemment participé. Étrange, en effet. Il y a 40 ans qu’on oppose le bit et l’atome, mais ça ne fait rien! La question de l’économie resterait la croissance et la question du numérique serait celle des limites.

Certes, on ne peut plus avoir la naïveté de penser le numérique comme un immatériel illimité. Les data-centers polluent, les ordinateurs chauffent, le numérique est bourré de métaux rares, il ne peut s’abstenir de contraintes écologiques. Mais avec le numérique, on est entré dans un autre régime de modernité que celui de la modernité classique. Tous les repères se déplacent et c’est de cela qu’il faut parler.

La question de l’économie, ce n’est plus celle de la croissance, c’est celle de sa métamorphose. La question n’est plus celle des limites de premier ordre, c’est celle des externalités et – en quelque sorte – des limites de second ordre.

1- Économie : l’heure est à la métamorphose, pas à la croissance !

Nous sommes dans des économies dont le capital est financier, dont l’emploi est tertiaire, dont les schémas de gouvernement sont industriels mais dont les principes vivants sont de plus en plus d’un autre ordre. On ne sait plus quel est la valeur d’un bien et encore moins d’un actif. La loi de Gresham disait que la mauvaise monnaie chasse la bonne ! Nous sommes face à une super-loi de Gresham ! Le numérique devient le nouvel équivalent général et la monnaie perd sa signification. Le numérique passe à l’échelle nano, 10-9, et la quantité de flux et de déplacements comptabilisés dépasse l’entendement. On crée des certificats CO2, on installe des puces sur les abeilles pour suivre pas à pas la pollinisation, on trace un par un les téléchargements, on apprend à spéculer sur des micro-variations de cours. La monnaie fait mine de rivaliser et monétise le plus possible de compteurs. La masse monétaire enfle. Le numérique chasse la monnaie.

La distinction entre production et consommation perd de sa pertinence. L’interactivité place la subjectivité et même l’intime au cœur des processus économiques. Les réseaux sociaux dévoilent les personnalités mais en même temps ils permettent à des groupes de se former pour élaborer un projet, décider d’une production, réunir un financement. Sur Internet, on peut aujourd’hui choisir à qui on prête, avec qui on s’associe pour éditer un meuble, comment on va réunir les fonds pour produire un film. La baisse de prix des imprimantes 3D permet d’installer des Fablabs, des ateliers de fabrications numériques où l’on peut se retrouver pour fabriquer des lunettes, des prothèses, des objets industriels élaborés. Tout ceci est bien matériel mais il n’y aura bientôt plus d’économie réelle au sens courant.

L’entreprise intégrée perd de sa superbe. Les schémas d’innovation pertinents sont ceux de l’économie-pollen où des acteurs installent des « hubs », des plateformes à vocation mondiale sur lesquelles des multitudes de nano-entrepreneurs vont aller faire leur miel. Le succès de l’iphone et de l’ipad tient à l’invention par Apple du mécanisme des apps. Des alliances inédites s’organisent entre acteurs hétérogènes : très grandes et très petites entreprises ; entreprises cotées et auto-entrepreneurs ; ONG et entreprises solidaires. Les jeunes ne s’y trompent pas. Quand on regarde où veut travailler un jeune diplômé, deux pics émergent : Google et le social business.

Nous sommes face à une métamorphose de l’économie et des manifestes tentent de décrire les nouveaux régimes de relation, de propriété, de valeur, de circulation, de réparation qui émergent. Des manifestes s’écrivent, souvent dans le milieu du Design et l’on a pu caractériser cette ébullition par le terme : « Design capitalism ». On redéfinit l’économie, on la transforme dans cette période de métamorphose. Citons entre autres : La Déclaration d’Indépendance du Cyberspace en 1996 ou le Manifeste pour un Internet des Sujets de 2010. Excusez-moi de le dire mais dans cette ébullition, les économistes sont absents. D’ailleurs ces sujets ne les intéressent pas. Ce qui les intéresse, c’est la croissance.

2- Frontières : de l’affirmation des limites à la revanche des externalités

Un concept d’origine économique joue pourtant un rôle essentiel dans les débats: c’est celui d’externalité. Avec ce terme, Alfred Marshall avait tracé une frontière entre ce que traite l’économie et qui s’échange sur les marchés d’une part et les questions d’éducation, de santé, de pollution qui relèvent de la collectivité d’autre part. La pensée de la croissance a rejeté au second plan toutes ces préoccupations subalternes. L’économie de la croissance était une économie macho. Je m’occupe de la quantité, pour tout ce qui est qualitatif, voyez ma femme !

Nous n’en sommes plus là. Ce n’est sans doute pas un hasard qu’on a commencé à s’interroger sur les limites de la croissance, en même temps qu’émergeait le féminisme moderne. Aujourd’hui on assiste même, comme l’a écrit Yann Moulier-Boutang, à une revanche des externalités. Les entreprises sont obligés de ré-internaliser les externalités dans leurs stratégies de création de valeur. L’horizon de l’économie, c’est de plus en plus le green, la santé, l’éducation, le développement personnel, la base de la pyramide. « Précaire et clients » s’intitule un livre qui vient de sortir. Même en France, les entreprises doivent se situer par rapport à la pauvreté. A l’échelle du monde, on ne peut plus oublier les 3,5 milliards d’êtres humains qui vivent avec moins de 2$ par jour.

Tout ceci relativise la notion de croissance et déplace celle de limites. La question qui se pose est désormais celle de savoir jusqu’à quel point on peut ré-internaliser des externalités sans dommages collatéraux.

Sur la question de l’intimité, certains néo-libertariens disent que nous possédons nos données personnelles et que nous devons être libres de les vendre. La métamorphose accoucherait-elle d’une marchandisation généralisée ? D’autres concepts tentent de se frayer un chemin, celui de biens communs notamment : distinct des biens privés, appropriables par un seul et des biens publics, appropriables par les institutions collectives. La réalité, c’est que nous sommes au début d’une démarche visant à donner un sens à deux forces aujourd’hui déchainées : la puissance de la technologie d’une part, l’attraction des imaginaires par la prolifération des datas d’autre part. Ce sens, je suis persuadé qu’il émergera à travers des combats démocratiques. Mon souhait est que, dès l’année prochaine, les économistes se décident à y prendre part !

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