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La Guyane dans la spirale du crime

Descente à l’aube. Interpellations dans un squat de Cayenne encerclé par la police. Le chef du groupe «stups» (à droite) dirige l’opération. On retrouvera du crack, de l’herbe et de l’argent. (Noël Quidu)

Au palmarès de la criminalité violente, la Guyane est deuxième derrière la Seine-Saint-Denis. Drogue, armes, orpaillage, clandestins… Reportage dans le sillage de la police.

Cayenne, à l’estuaire de la rivière du même nom et du Mahury. Une ville d’une superficie de 2360 hectares et une population estimée par l’Insee à 58.000 habitants. Le commissaire Cyril Alavoine, directeur départemental de la sécurité publique de Guyane, préfère parler de 75.000 habitants, même si «certains avancent le chiffre de 100.000», confie le policier. Une approximation que confirment toutes les autorités ici. «Pour la Guyane, le chiffre officiel est de 219000habitants mais, avec les clandestins, je pense qu’on dépasse les 250.000», considère le procureur de la République, François Schneider. Malgré les 9 000 reconduites aux frontières l’an passé, le préfet Daniel Ferey est lui aussi parfaitement lucide sur la situation : «L’immigration, ici, c’est un bateau qui sombre. On ne peut pas boucher la voie d’eau et il faut écoper plus vite que l’eau ne rentre… En ville (Cayenne, ndlr), nous avons plusieurs dizaines de milliers de clandestins…»

Une partie d’entre eux vit ici, au bout d’un chemin de terre rougeâtre mitraillé par les pluies tropicales, à la sortie de Cayenne. L’administration appelle cela une «zone d’habitat spontané». Au bout du sentier d’ornières et de flaques d’eau, le quartier de la Mâtine est en réalité un village de planches et de tôles fatiguées tendu de morceaux de tissus, un de ces bidonvilles comme il en existe beaucoup en Guyane. Régulièrement, la police vient ici pour contrôler et interpeller des personnes recherchées. Combien sont-elles? «700, peut-être, estime le capitaine de police Florian Von Bieler qui nous guide, dont la moitié de clandestins brésiliens, surinamiens ou guyaniens» (originaires du Guyana). L’enfer sur pilotis posé sur un marécage infesté de moustiques, de serpents et de rats, où les ordures ménagères flottent en surface : cannettes, bouteilles, vêtements, électro-manager, matelas… Tout un univers à moitié englouti dans les marais, avec des planches glissantes en guise de passerelles pour aller d’une cabane à l’autre et le danger partout, du fait de câbles électriques rafistolés qui baignent dans l’eau. L’an dernier, dans un quartier d’habitat spontané similaire, «zone Collery», à Cayenne, deux enfants de 1 et 3 ans sont morts brûlés dans l’incendie de la cabane de leurs parents après un court-circuit, et les chiens de la favela meurent régulièrement d’électrocution. Un autre policier résume: «Ces squats sont devenus des domiciles. Si on expulse les gens d’ici, il faut les reloger. Rien de tout cela n’est légal, mais c’est la France…»

Le bidonville s’alimente en électricité par des branchements sauvages sur les poteaux EDF raccordant le garage automobile voisin et l’église dont le prêtre, lassé de payer des factures à quatre chiffres, a fini par résilier son abonnement. A l’arrière, des fils traversent le marécage sur près d’un kilomètre jusqu’à la zone industrielle, où les magasins règlent une partie de la consommation de la favela. Les fonctionnaires d’EDF interviennent mollement, débranchent les câbles et les laissent au sol. Le préfet lui-même s’étrangle: «C’est le service minimum.»

Et la criminalité suit, aggravée par un contexte de plus en plus préoccupant: «Même si nous sommes à – 7,5% au niveau de la délinquance générale constatée, les vols violents avec ou sans arme représentent ici 12% des faits constatés contre 3% en moyenne nationale, observe Cyril Alavoine. C’est la caractéristique de la délinquance à Cayenne: son côté très violent… et il n’y a aucune raison objective que cette criminalité baisse, puisque nous avons un accroissement démographique énorme (on estime que la population aura doublé dans moins de vingt ans, ndlr), un taux de natalité extrêmement élevé et une immigration clandestine qui explose.»

Ici, les facteurs aggravants sont multiples, à commencer par la présence d’armes à feu partout. «Pour des raisons culturelles, explique le policier, le permis de chasse n’existe pas en Guyane. N’importe qui peut acheter une arme de chasse avec une simple pièce d’identité. Beaucoup de ces armes sont transformées en armes de braquage ou de réglements de comptes au cours de leur vie, une fois les crosses et les canons sciés. Quant aux armes de poing – pistolets et revolvers Taurus -, elles viennent du Brésil avec les clandestins.» Des armes qui circulent souvent avec leurs propriétaires. «Ici, reprend Cyril Alavoine, on promène sa machette dans son sac à dos.»

«Et une partie de tout ça aboutit là», explique le procureur de la République François Schneider en acceptant de nous ouvrir le greffe des scellés du tribunal. Une grille de prison et une porte blindée. Deux fonctionnaires travaillent ici à trier, archiver, conditionner ou faire détruire les éléments saisis dans les affaires judiciaires. A l’intérieur, 700 armes saisies en quelques mois seulement, des kilos de munitions, des armes blanches, un coffre-fort plein de bouteilles de mercure saisies aux orpailleurs et dans une seconde pièce, dont l’inventaire est en cours, un vieux coffre fermé dont la combinaison s’est perdue. L’or est rapidement évacué pour des raisons de sécurité et les importantes saisies de crack et de cocaïne, détruites après prélèvement.

François Schneider est pressé. «Et c’est comme ça chaque jour, explique le magistrat en poste à Cayenne depuis près de trois ans. Nous avons reçu 26.367 procédures en 2010, ouvert251 informations judiciaires et organisé 720 comparutions immédiates (contre 600 pour un tribunal comme Grasse, dans les Alpes-Maritimes, à titre de comparaison, ndlr) avec un effectif de quinze fonctionnaires en moins. Les magistrats ne veulent plus venir en Guyane, effrayés par la quantité de travail que nous avons, mais aussi parce qu’ils ont peur de se faire attaquer au coin de la rue.» Le procureur confirme «une délinquance avec un taux de gravité très élevé par rapport à la métropole, soit plusieurs dizaines de meurtres par an, énormément d’affaires de violence, de vols avec violence et de vols à main armée». Lui aussi parle d’un «accroissement mécanique de la délinquance violente liée à l’augmentation de la population».

Franck, 45 ans, alias « Choc Face », est chef de groupe à la BAC et taillé en conséquence. Vingt ans de brigade anticriminalité à Paris, Lyon et Marseille avant Cayenne et ce constat: «La différence, c’est qu’ici, tu peux perdre la vie pour 3euros.»

Une délinquance 24 heures sur 24

A Cayenne, on continue à casser des cailloux. Hier la pierre, aujourd’hui le crack. Le « cristal » est à 2 euros à peine, le gramme de cocaïne à 10 euros négociables et la marijuana locale – le kali – est la moins chère du monde. En faisant la manche aux terrasses du centre-ville, un toxicomane peut s’acheter jusqu’à dix cristaux de crack par jour et vivre dans la rue allongé sur un carton comme on en voit partout dans Cayenne. La tentation est facile.

Et fatale. Dans l’une des lettres que reçoit le commissaire Alavoine, une mère lui écrit de métropole pour tenter d’avoir des nouvelles de sa fille : «Elle était infirmière à l’hôpital, elle nous téléphonait et écrivait régulièrement. Je vous signale qu’elle se drogue. (…) Elle est peut-être à Cayenne ou en forêt.» La police a retrouvé la jeune femme en triste état, dans un foyer d’où elle ne repartira certainement jamais.

Ici, tout est prétexte à la violence. La drogue, l’alcool, les armes, la fièvre de l’or qui gagne les villes en fin de semaine avec l’arrivée des garimpeiros (chercheurs d’or brésiliens), la prostitution, les soirées sound system autour d’une sono sauvage mobile ou installée dans une voiture. «Ça dégénère trop souvent, explique Marie-Erika, une liane noire, gardien de la paix à la BAC et spécialiste des arts martiaux. A 23heures, ils sont une quarantaine et, si on laisse faire, ils finissent à 200 et ça tourne mal.» Le 3 janvier 2010, un sound system sauvage dans la maison de quartier de Mirza se termine en fusillade à 5 heures du matin : un mort, un blessé dans un état critique et un autre plus légèrement touché. Au mois d’août 2010, à Matoury, ville limitrophe de Cayenne, une jeune femme, ex-Miss Guyane, était tuée au cours d’une fusillade pendant un sound system. Les auteurs furent interpellés par la police locale.

Même en plein jour, quand le soleil coule comme du miel, la ville reste dangereuse. Malheur aux faibles: «C’est souvent une population en grand dénuement qui passe à l’acte, explique le commissaire Alavoine. Les victimes sont des personnes âgées, des femmes, des touristes et même des blessés agressés pour une chaînette en or ou quelques euros.» L’hôtel Amazonia, dont le mur jouxte pourtant le commissariat de police, n’a pas un centime de monnaie dans sa caisse «par crainte des braquages», avoue le réceptionniste.

La nuit, l’action se situe du côté de la Crique, un chapelet de bars et de ruelles dangereuses qui ourlent le canal où les nuits de braise attirent une faune étrange et des touristes imprudents. Le 12 mai dernier, du côté de la « rue de la mort », où même la BAC pénètre avec précaution, c’est un touriste allemand, Peter K., 45 ans, qui est mort après avoir été tabassé et détroussé par quatre individus. «Une femme, témoin des faits, évoque des coups de pied au visage portés avec une violence bestiale», note le rapport de police du commandant Maussan, chef de la sûreté urbaine de Cayenne. Le 10 juin, c’est un ambulancier de 29 ans qui est abattu d’une balle dans le dos alors qu’il retire de l’argent au distributeur de la poste. Le 28 juin, en marge des festivités du match Brésil-Chili, un homme de 37 ans est tué de cinq balles pour avoir laissé entrevoir l’argent qu’il avait en poche. Le 3 décembre, lors d’une soirée en plein air, deux hommes sont tués au fusil de chasse et l’auteur, blessé à la jambe, est arrêté par un brigadier de la BAC. La liste n’en finit pas et noircirait des pages.

Pour beaucoup de ceux qui vivent ici, Cayenne est une impasse. D’un côté la mer, de l’autre la forêt, et au milieu, les héritiers du bagne.

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