La plainte déposée jeudi 13 janvier par Renault pour l’espionnage industriel dont le constructeur automobile se dit victime vise une société privée étrangère, a déclaré le procureur de Paris.
« La plainte vise des faits de vol en bande organisée, d’abus de confiance aggravé et des faits de fourniture d’éléments intéressant le secret économique français à une puissance étrangère », a déclaré Jean-Claude Marin. Prié de dire quel était ce pays, le procureur a répondu : « C’est la position de Renault. Ils citent non pas une puissance étrangère, ils ne citent que des personnes morales de droit privé ». Il a précisé que la plainte était pour l’instant analysée et que la décision formelle d’ouvrir une enquête n’était pas encore prise. Le numéro deux du groupe automobile, Patrick Pélata, avait déjà indiqué dans Le Monde que Renault était « victime d’une filière organisée internationale », sans préciser les commanditaires de l’affaire.
Renault avait convoqué, mardi, trois cadres dirigeants soupçonnés dans cette affaire. L’un d’eux a assuré à la sortie de cet entretien de plus d’une demi-heure que l’entreprise n’avait pas encore pris sa décision quant à d’éventuels licenciements. L’avocat d’un autre de ces cadres a, de son côté, affirmé que son client est accusé « sur la base d’une lettre anonyme ».
LES CADRES REJETTENT LES ACCUSATIONS PORTÉES CONTRE EUX
Cette lettre « indiquerait, au conditionnel, de façon indirecte et implicite, qu’il aurait reçu des pots-de-vin et commis des actes contraires à l’éthique », a indiqué Thibault de Montbrial, avocat de Matthieu Tenenbaum, l’un des trois cadres soupçonnés. « De façon absolument hallucinante, la société Renault, à laquelle il incombe de justifier les faits sur lesquels cette procédure de licenciement est envisagée, s’est contentée de lire un papier sans engager de dialogue », a ajouté Thibault de Montbrial.
De son côté, Bertrand Rochette, le troisième cadre mis en cause, a nié en bloc les accusations portées contre lui. « A ma stupéfaction la plus complète, Renault m’a annoncé ma mise à pied pour des faits que je n’ai jamais commis et qui seraient de la divulgation d’informations contre de l’argent, ce qui m’est totalement étranger », a affirmé M. Rochette. Il a assuré n’avoir « absolument rien » à se reprocher.
Les trois cadres menacés d’éviction occupaient des positions « stratégiques dans l’entreprise », liées notamment au programme phare des véhicules électriques, selon la direction du groupe. Le plus important d’entre eux, Michel Balthazard, est membre du comité de direction du groupe depuis 2008, une des principales instances du groupe. Directeur de l’« amont, des projets et des prestations » depuis janvier 2006, M. Balthazard a fait une longue carrière au sein du groupe, qu’il a rejoint en 1980. « Réfutant » les accusations portées contre lui, il se dit « victime d’une affaire qui le dépasse ».
COMPTES EN SUISSE ET AU LIECHTENSTEIN
La piste d’une fuite vers la Chine de secrets touchant à la voiture électrique, projet phare dans lequel Renault et son allié japonais Nissan ont investi 4 milliards d’euros, est privilégiée par le contre-espionnage français et le groupe, selon la presse et les spécialistes de l’intelligence économique. Mais ni Renault ni l’Etat français, son actionnaire à 15 %, ne l’ont confirmé jusqu’ici.
Selon Le Figaro, une société chinoise, présentée comme un géant de la distribution électrique, aurait alimenté des comptes de deux des trois cadres mis à pied. L’enquête menée depuis fin août 2010 au sein du groupe aurait permis de découvrir 130 000 euros sur un compte au Liechtenstein et 500 000 euros sur un autre en Suisse, affirme mardi le quotidien, sans préciser ses sources. Les versements occultes auraient transité par des intermédiaires à Shanghaï et à Malte.
Selon le journal, une note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) du 7 janvier confirme la plausibilité de la piste chinoise. Pour autant, il ne s’agit que d’un faisceau de soupçons convergents, que le contre-espionnage devra s’attacher à étayer une fois saisi par la justice.